Migrations, mobilités et mobilisations

Thèse

 

 

Inscrit en thèse de doctorat en octobre 2000, j’ai réalisé toute ma recherche doctorale au sein du laboratoire Migrinter (UMR 6588), sous la double direction d’un géographe (Emmanuel Ma Mung) et d’une anthropologue du politique (Catherine Neveu).

Mon travail portait sur les associations de migrants marocains en France et sur leurs relations avec l’espace et l’Etat d’origine. L’intitulé final de ma thèse est : La marocanité associative en France. Militantisme et territorialité d’une appartenance exprimée à distance. Il illustre sa double inscription dans le champ des recherches sur la circulation migratoire – ce qui découle de ma participation active aux travaux de l’équipe Migrinter depuis 2002 – et dans celui sur les mobilisations et les organisations transnationales.

 

Pour réaliser cette thèse, j'ai bénéficié à partir de 2001 d'une bourse doctorale de la Région Poitou-Charentes pour une période de trois ans.

Je l'ai soutenue le 21 novembre 2007 à l'Université de Poitiers devant un jury composé de :

 

- William BERTHOMIÈRE, Géographe, Chargé de recherche au CNRS (examinateur)

- Mohamed CHAREF, Professeur de Géographie, Université Ibn Zohr d’Agadir (rapporteur)

- Emmanuel MA MUNG, Géographe, Directeur de recherche au CNRS (co-directeur)

- Catherine NEVEU, Anthropologue, Directrice de recherche au CNRS (co-directrice)

- Martin VANIER, Professeur de Géographie, Université Joseph Fourier de Grenoble  (rapporteur)

- Catherine WIHTOL DE WENDEN, Sociologue, Directrice de recherche au CNRS (examinatrice)

 

 

  la mention très honorable avec les félicitations du jury à l’unanimité, après un vote à bulletin secret.

 

Objet, hypothèses et terrain

 

 

Dans ce travail, il s’agissait de partir d’une approche considérant la forme associative « communautaire » comme un moyen, pour les migrants, de

réduire la distance matérielle et symbolique qui les sépare de l’espace d’origine. Les questions motivant cette recherche étaient liées, d’une part à la persistance de certaines associations plus de vingt ans après leur création, malgré les mutations profondes intervenues en migration (regroupement familial, acquisition de la nationalité française, etc.), d’autre part à la diversification des activités et des orientations des associations actuelles. Ainsi, en 2007, la France comptait plus de 300 associations pouvant ainsi être qualifiées de « marocaines », car composées majoritairement de Marocains et orientées principalement vers le Maroc (conçu au sens large comme entité géographique, politique et sociale).

 

L’hypothèse était que ce double constat pouvait s’expliquer par l’existence d’un type de militantisme singulier, « post-colonial », et d’une forme socio-spatiale ou d’une territorialité spécifique à ces associations « marocaines » en France. Pour le montrer, je me proposais d’explorer les significations politiques et spatiales accordées par ces migrants associés à leur sentiment d’appartenance marocaine, leur « marocanité », et de comprendre comment ces significations s’étaient structurées sur le temps long (depuis 1956), au fil des relations nouées entre associations, Etats et sociétés d’installation et d’origine. Les notions de territorialisation de l’appartenance et de réduction de la distance étaient placées au centre d’une réflexion portant sur la dimension politique du champ migratoire franco-marocain, qui rejoignait celle des politistes sur la dissociation croissante entre l’Etat, la nation et le territoire ; ou, pour le dire plus précisément, entre le territoire national, conçu comme un espace borné, approprié et contrôlé de manière homogène par l’Etat-nation, et la multiplicité des sentiments d’appartenance d’individus mobiles, à l’égard de lieux distincts et distants de ceux qu’ils vivent et pratiquent au quotidien.

 

L’enquête de terrain était multi-située car les associations étudiées – et souvent les membres d’une même association – étaient localisées dans une dizaine de villes ; surtout, la problématique même de ma recherche interdisait toute délimitation d’un terrain d’enquête exclusif, puisque je m’intéressais aux rapports entre associations et à leurs manières de faire avec la distance, davantage qu’à leur fonctionnement interne et leur ancrage local. Cette enquête fût cependant entreprise à partir de deux villes : Nantes, ville située dans un espace de faible immigration, et Gennevilliers, pôle majeur et ancien d’installation des migrants marocains. Les outils utilisés étaient l’observation des activités associatives, les entretiens semi-directifs avec des militants (35 ont été réalisés, dont 25 enregistrés) et la consultation d’archives privées, individuelles ou associatives.

                                                        

 

Principaux résultats

 

Cette enquête m’a permis de faire émerger trois idéaux-types d’associations de migrants marocains, selon les significations qu’elles accordent à l’origine de leurs membres : ainsi, certaines regroupent des « Marocains de l’extérieur » (type nationalitaire), d’autres des « Marocains de France » (type communautaire) et les dernières des « Marocains du Monde » (type diasporique). Cette typologie renvoie directement aux lieux de leurs actions (commerces, quartiers, mosquées, etc.), aux réseaux qu’elles activent (locaux, transnationaux, nationaux, etc.), à l’espace principal de référence (France, Maroc, Monde, etc.) et au type de migration dont elles sont représentatives (circulatoire, économique, familiale, politique, etc.). Au-delà de cette dimension monographique, mon travail a eu pour résultat d’affiner les définitions de certains concepts (diaspora, communauté transnationale, etc.), dans leur application aux associations de migrants, et d’en proposer de nouveaux.

 

L’autre résultat de cette recherche est donc théorique. Elle a en effet permis de caractériser la marocanité associative en France par une intense circulation associative, des formes de patriotisme à distance, un militantisme de type post-colonial et une territorialité particulière. Ces nouveaux concepts permettent de dépasser de faux antagonismes, entre l’intégration et le « communautarisme » ou entre le territoire national et l’espace transnational, et de comprendre pourquoi et comment un sentiment d’appartenance peut subsister malgré la distance. Je les présente ci-dessous de manière succinte, à l’exception du dernier, la territorialité associative, qui me semble mériter plus d’attention.

 

La structuration politique des expressions associatives de la « marocanité » des migrants en France peut être ramené à deux dimensions. Vis-à-vis du pays d’origine, ce militantisme peut être défini comme un patriotisme à distance, c’est-à-dire un sentiment d’attachement au territoire marocain, qui peut s’exprimer à différentes échelles (locale, régionale, etc.) et selon différentes modalités (électorale, entreprenariale, etc.). Dans mon travail, j’ai distingué cinq formes de patriotisme à distance : affectif, culturel, idéologique, juridique, utilitaire. Mais une association exprime généralement au moins deux de ses formes simultanément. Cette notion est peut être plus pertinente et précise que celle, plus fréquente, de « communautarisme » ou celle de « nationalisme à distance », à l’application plus restreinte.

 

La seconde dimension se joue vis-à-vis du pays d’installation. Il s’agit d’un militantisme post-colonial, qui repose sur la mise en scène de signes historico-politiques par les militants originaires d’anciennes colonies de l’Etat d’installation, afin d’affirmer et de différencier leur groupe dans cet espace d’installation. Ce militantisme désigne donc les significations de l’engagement associatif et politique de migrants installés dans l’Etat ayant colonisé leur pays d’origine, cet engagement ayant pour objectif principal de revaloriser des éléments historiques et politiques de leur pays d’origine, pour revaloriser plus efficacement leur situation actuelle dans le pays d’installation.

 

Enfin, partant de la définition de la territorialité chez Claude Raffestin, j’ai forgé le concept de territorialité associative pour désigner l’ensemble des pratiques et des représentations spatiales que développent les associations en vue d’atteindre la plus grande autonomie possible compatible avec leurs ressources ; elle est donc en partie déterminée par les pratiques et les représentations spatiales des autres acteurs, qui contribuent à façonner l’espace partagé avec les associations. Chez les migrants marocains en France, la territorialité associative concerne un groupe restreint. Elle est aussi en partie déconnectée des configurations associatives et migratoires. Les actions réalisées dans son cadre peuvent être jugées efficaces par les migrants, mais restent impuissantes à influer sur les politiques publiques et le fonctionnement du champ migratoire franco-marocain. De là découle l’instabilité et la faible visibilité des formes socio-spatiales que les associations de migrants marocains produisent dans l’espace français. Enfin, comme toute territorialité, celle-ci différencie et organise l’espace associatif en hiérarchisant les lieux d’action, en confortant des centralités existantes et en en créant de nouvelles.

 

Thèse disponible en ligne :https://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/25/01/80/PDF/THESE_INTEGRALE.pdf

 

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Contact

Antoine Dumont Docteur en géographie

Membre associé de MIGRINTER - Migrations internationales, espaces et sociétés (UMR 6588)

MSHS - Bâtiment A5 - 5 rue Théodore Lefebvre - 86 000 Poitiers